Art Événement Société

Le prochain René Lévesque sera designer

« On entend trop souvent dire que l’unique objet du design est de rendre les objets, les gens et les lieux beaux. Le design s’est pourtant étendu jusqu’à toucher presque toutes les facettes de l’activité humaine, qu’elles concernent la science, l’enseignement ou la politique. Ceci pour une raison simple : l’une des tâches les plus fondamentales du design est d’aider les Hommes à faire face au changement. » __Paola Antonelli, « Design takes over », — The Economist_, 22 novembre 2010.

Il y a quelques semaines, le Centre de design de l’UQAM rendait hommage à l’engagement de ses étudiants lors du conflit qui a opposé la jeunesse québécoise à son gouvernement pendant une grande partie de 2012. Condensé de sept mois d’émotions, révélatrice des espoirs, des frustrations, des nuits blanches, des marches, des pleurs et des joies de toute une génération, l’exposition La création en temps de crise sociale nous a interrogés sur le rôle de l’art ainsi que sur les motivations qui guident les démarches artistiques.

C’est le 13 février 2012, que des étudiants du baccalauréat en design graphique de l’UQAM ont fondé l’École de la Montagne Rouge (ÉMR). Inspirée du Black Mountain College et des Ateliers populaires de mai 68, l’initiative a vu le jour pendant les premiers temps forts du mouvement étudiant. En inspirant la lutte contre la hausse des frais de scolarité et en donnant vie et couleurs aux arguments sur la nécessité de l’accessibilité aux études comme base d’une société plus juste, l’ÉMR a offert une mission louable à sa création.

La jeunesse voit rouge, l’ÉMR joue collectif.

L’ÉMR est née dans l’urgence d’un conflit. Dans l’urgence et dans l’effervescence aussi. Car l’une des caractéristiques de cette crise sociale est qu’elle a tout de suite déchainé les passions et mobilisé les masses.

De cette lutte, de cet antagonisme naissant, s’est rapidement révélé un groupe de créateurs qui entendaient critiquer et rejeter une façon d’exister et de penser, que très rarement jusqu’ici bousculée. De cette révolte, s’est formée une génération de graphistes militants et politisés. Des graphistes intéressés, conscientisés, engagés et déterminés, dont la démarche est née de leur perception des événements qu’ils ont su rapidement analyser, critiquer et enrichir. Sans hésiter, ils se sont emparés de leurs pinceaux, qui, à l’instar de la plume de l’écrivain ou du chroniqueur, sont devenus des armes redoutables de combat et d’expression.

Plus encore, c’est un débat collectif et social qui s’est formé au sein et autour de l’ÉMR. Preuve que le concept collectif existe encore, chacun de ses membres s’est mis au service de cette contestation. L’ÉMR a été un geste commun d’affirmation de soi en tant que groupe se réclamant d’une identité culturellement forte et de principes sociaux, et qui s’est donné les moyens de réfléchir et de proposer une redéfinition des valeurs guidant la jeunesse (société) québécoise.

Son objectif était donc social. Sa mission : mobiliser toute une génération. Ses moyens: utiliser son savoir-faire pour créer et diffuser un message influent.

Lieu de création et de réflexion, l’ÉMR a nourri la grève étudiante.

Pour lutter, il faut prendre parti certes. Mais il faut aussi s’afficher.

L’ÉMR fut en fait une boîte à idées et un laboratoire de créativité. Elle a instrumentalisé l’art pour véhiculer ses idées, inspirer un mouvement, le mettre en scène et l’immortaliser. Ses oeuvres sont devenues une façon de se raconter et de se voir dans la lutte et la créativité rouge devait être l’outil de résistance aux desseins d’un avenir fataliste. C’est en maintenant une production quotidienne efficace d’affiches, d’images et de slogans et en habillant l’espace urbain qu’elle y est parvenue. Des milliers de sérigraphies ont été produites et les pancartes « Printemps érable », « Le combat est avenir » ou encore « L’État sauvage » sont devenues emblématiques de la grève, des manifestations et du mouvement tout entier.

En imprimant l’image du printemps québécois dans l’imaginaire collectif, l’ÉMR nous a donc donné une leçon de démocratie, de communication et de propagande visuelle. Son oeuvre est vivante. Son oeuvre est politique, puisqu’elle revendique dans les mots et les images de la jeunesse québécoise, ses droits, sa liberté d’expression et les changements légitimes et nécessaires auxquels elle aspire. Enfin, son oeuvre est historique: sa portée est infinie puisque l’art ne meurt jamais.

Alors que l’image est reine dans notre société, l’imprimé a une portée sociale dont on ne peut se passer et le travail de l’artiste a une force inestimable, qu’il faut sans cesse exploiter. Créativité et esprit critique sont indissociables : un esprit éveillé ne se passera jamais d’imagination.

Dans cette optique, le design, c’est bel et bien du contenu. L’éditorial fait partie intégrante de la démarche du designer, où le fond et la forme ne font qu’un. Mettre en forme une affiche, c’est porter un regard différent, revendiquer, inspirer des changements et s’engager socialement.

À l’instar des étudiants de la Montagne Rouge, le designer d’aujourd’hui et de demain doit prendre acte des enjeux sociaux, actuels et futurs, et mettre sa créativité à son service. Son pouvoir politique et social réside dans sa faculté à interpréter ces enjeux, dans son refus de l’immobilisme et dans la pertinence de sa créativité, au service du changement. Son pouvoir est donc immense et précieux : le designer contemporain ne peut pas créer dans le silence, mais plutôt affirmer sa présence et sa vision au monde. En interrogeant les acquis, en approfondissant des réflexions et en prenant possession des lieux, ses pinceaux, crayons et trackpads deviendront les outils esthétiques privilégiés du changement et les symboles d’une affirmation collective.

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