Cinema

Entrevue. Le renouveau de Cinemania

Le festival de films francophones Cinemania avait lieu du 3 au 13 novembre dernier. Lors de cette 17è édition, 64 séances en avant-première et 3 événements d’envergure se sont tenus à l’Impérial, et pour la première fois depuis la création du festival, à la Cinémathèque Québécoise. 16 invités et près de 25 000 spectateurs ont animé 10 jours de festivités. Pour cette dernière édition, la fondatrice et présidente Maidy Teitelbaum s’est entourée d’une nouvelle équipe, dont Natalie Bélanger à la direction générale depuis juin 2011 et Guilhem Caillard en nouveau coordonnateur à la programmation; tous deux emprunts d’une volonté de changement.

Ainsi, plus que jamais cette année, la petite équipe nous a réservé une programmation très aboutie et engagée, dans laquelle les films ont su communiquer entre eux. Et, plus que jamais, elle a fait interagir l’ensemble de ses participants : acteurs, réalisateurs, producteurs, professionnels de l’industrie et spectateurs.

Retour sur ce Cinemania, nouveau cru avec Guilhem Caillard.

Quand on parle de Cinemania, on a souvent l’image d’un festival réservé à un public anglophone, issu des communautés de Westmount ou d’Outremont. D’où vient cette réputation véhiculée par le festival ?

Cinemania a été créé en 1995 par Maidy Teitelbaum et s’appelait alors Cinemania Film Festival : French Films With English Subtitles. L’objectif était de créer un festival de films français avec des sous-titres en anglais, pour la communauté anglophone qui, à cette époque, n’avait pas accès aux sous-titres. Il y a 20 ans au Québec, les films français passaient, mais il n’y avait pas de sous-titre. Il y avait vraiment un manque à ce niveau et l’idée de Maidy a plu à la communauté anglophone qui a vu en cette initiative, l’occasion d’avoir son festival avec des sous-titres, ce que ne faisaient pas les autres festivals.

Aujourd’hui pourtant, Cinemania accueille un public à majorité francophone…

Oui, petit à petit, la fréquentation est devenue francophone. En 2010, 72% de nos spectateurs étaient francophones. Et puis notre conférence de presse se tient en français. Mais comme l’a rappelé Natalie Bélanger à plusieurs reprises avant le lancement de la dernière édition, nous tenons absolument à ce que tous les films soient sous-titrés en anglais, et espérons en cela continuer à rejoindre la communauté anglophone. Mais depuis les 6-7 dernières années, Cinemania n’est plus destiné aux anglophones en particulier, ni même à une quelconque communauté culturelle. Nous sommes ouverts à tous, évidemment !

Le public semble également se rajeunir si on le compare à celui des premières éditions ?

Nous avons en effet remarqué une augmentation de la part des jeunes spectateurs – disons la tranche des 20-35 ans – un public qui était clairement au rendez-vous en 2011. Nous proposions cette année une programmation dans l’air du temps et variée, des films attendus par la communauté cinéphile et qui ont fait vibrer les plus grands festivals internationaux. Inévitablement, il s’agissait pour nous de rejoindre les jeunes, les étudiants, les universitaires.

Ce qui ne nous empêche pas d’apprécier un cinéma plus traditionnel qui fait aussi partie de notre « marque de commerce »: des grandes fresques, des sagas, des films grandiloquents avec des histoires de famille, d’héritage… Il s’agit par exemple de Tu seras mon fils de Gilles Legrand ou La fille du puisatier de Daniel Auteuil ; des films qui n’ont pas forcément une thématique sociale très forte.

Astrid Berges-Frisbey et Kad Merad dans La fille du puisatier  - Source: Unifrance

Astrid Berges-Frisbey et Kad Merad dans La fille du puisatier — Source: Unifrance

De gros efforts semblent avoir été faits aussi au niveau de la communication et de la promotion du festival, qui peuvent expliquer qu’un public plus jeune soit davantage sensibilisé à votre message 

En effet, une importance particulière a été accordée à la communication **écrite. Nous avons voulu accompagner chaque film d’une réflexion et apporter du contenu. C’est tout l’intérêt d’un festival : l’accompagnement.

Par ailleurs, nous étions très présents en couverture pub. Nous avons acheté des espaces publicitaires dans le Voir, presque tous les jours, dans La Presse, un jour sur deux, dans la Gazette, dans Le Devoir, sur Cyberpresse

Nous avons également fait appel à Média Experts, une société montréalaise spécialisée en stratégies de visibilité médiatique avec qui nous avons conçu une campagne de publicité sur facebook. Enfin nous avons utilisé des sites promo en ligne, Groupon par exemple.

On a donc fait des choses nouvelles, et cela s’est ressenti dans notre public. Mais ce n’est qu’un début et nous allons continuer à travailler dans ce sens pour les éditions futures.

Sur place, à chacun des événements, une ambiance très « festivalière » s’est ressentie. Il était important pour vous d’insister sur le côté festif du festival ?

C’est la définition même du mot « festival » ! Un festival est un moment d’échanges et de rencontres. Il ne s’agit pas de montrer des films à la chaîne. Cette année, Natalie a instauré une atmosphère plus paisible, en laissant par exemple beaucoup d’espace entre les films, pour permettre au public de discuter dans le foyer avant de s’installer dans la salle.

Nous avons également remarqué que cette année, la fréquentation s’est étalée tout au long du festival et sur toutes les séances, tôt en matinée comme en début d’après-midi (des plages horaires pas toujours faciles).

Gala d'ouverture de Cinemania

Gala d’ouverture de Cinemania – Source: CINEMANIA

Une autre évolution majeure par rapport à l’an dernier est le nombre d’invités présents pendant le festival. En 2010, le festival avait accueilli quatre invités (Isabelle Huppert, Ludivine Sagnier, Thierry Hancisse et le réalisateur Marc Fitoussi étaient venus à Montréal). Cette année, ce ne sont pas moins de seize invités qui ont répondu présents à votre invitation…

Tous les jours du festival, nous avons reçu un invité. La scénariste, actrice et réalisatrice Maïwenn est arrivée pour la soirée d’ouverture et nous avons eu le grand plaisir de recevoir Louise Bourgoin lors de la dernière journée de Cinémania.

On a reçu autant d’acteurs que de réalisateurs, des producteurs, des distributeurs, des gens qui travaillent pour la promotion du cinéma français, une délégation d’Unifrance, la directrice du Centre National de la Cinématographie et des professionnels gouvernementaux. On a réussi à faire cohabiter tout ce monde, et c’est une grande réussite pour nous puisque cela promet beaucoup de choses pour la suite. Notre rôle est de créer des liens avec ces personnalités du milieu.

Comment avez-vous établi cette dynamique d’échanges, entre les films, les invités, le milieu du cinéma québécois et les spectateurs ?

Il était important pour nous de créer des résonances entre les films. Le Havre (Aki Kaurismäki) et La Fée (Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy) par exemple sont deux films burlesques qui se passent au Havre et qui traitent de problèmes d’immigration clandestine. Nous les avons liés.

Le Havre de Aki Kaurismäki - Source: Unifrance

Le Havre de Aki Kaurismäki – Source: Unifrance

Pater (Alain Cavalier) et L’exercice de l’État (Pierre Schoeller) traitent tous deux de l’exercice du pouvoir politique en France. L’idée était donc de rassembler ces deux titres et d’organiser une table ronde qui a eu lieu en présence de Pierre Schoeller, d’Helen Faraji, rédactrice en chef de 24 images web, et de notre animateur Dennis Trudeau, sur l’illustration du pouvoir politique dans le cinéma français, surtout depuis les 12 derniers mois.

L'Exercice de l'État réalisé par Pierre Schoeller - Source: Unifrance

L’Exercice de l’État réalisé par Pierre Schoeller – Source: Unifrance

En fait, plus encore, notre idée était de créer des espaces de discussion entre les invités et les spectateurs. C’est dans ce sens que l’on a également organisé une rencontre entre la cinéaste française Maïwenn et les cinéphiles, ainsi qu’une conversation avec le réalisateur Cédric Klapisch.

Cinémania a également favorisé l’interaction entre les invités et le milieu québécois. Ainsi, le festival s’est pour la première fois associé à la Cinémathèque Québécoise où ont été diffusés les trois films de la rétrospective « Le Péril Klapisch ».

Et puis, nous avons organisé une belle soirée de rencontre entre Maïwenn et Podz à l’Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec (ARRQ).

Concernant la programmation en elle-même, elle s’est révélée très engagée. Était-ce important pour vous de donner cette teinte politique et sociale au festival cette année ?

On ne cherche pas forcément à donner une teinte au festival. L’objectif est de présenter le panel le plus varié et représentatif de ce qui s’est fait dans le cinéma français dans l’année en cours.

Mais effectivement nous avons voulu faire en sorte qu’il y ait des films engagés et de créer une thématique commune. Dans le premier communiqué, nous avions d’ailleurs affirmé que c’était « l’année des partis pris ».

Ainsi, avec Polisse, le festival s’est ouvert en abordant des thématiques sociales très fortes, sur la police, l’enfance maltraitée, les conditions de travail dans le secteur, l’évolution de la sexualité parmi les plus jeunes … Et, pour boucler la boucle, nous avons clôturé par un sujet de cette même envergure avec Les Neiges du Kilimandjaro dans lequel Robert Guédiguian nous parle du chômage, de la pré-retraite, de la précarité…

Une bonne partie de nos films soulevaient des problématiques sociales. **Cela a inévitablement donné une identité à notre programmation.

Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin dans Les neiges du Kilimandjaro - Source: Unifrance

Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin dans Les neiges du Kilimandjaro – Source: Unifrance

Il y a-t-il une raison particulière ?

Non, le cinéma français actuel est ainsi et la plupart des films produits cette année sur ce thème se sont avérés excellents.

Votre connaissance pointue du cinéma et des auteurs nous a permis d’admirer des œuvres plutôt inhabituelles à Cinemania, et que l’on retrouverait davantage au Festival du Nouveau Cinéma. **Comment vous positionnez-vous et vous démarquez-vous par rapport à un festival comme le FNC?

Avec les autres festivals, on se partage le gâteau. Nous n’avons pas l’intention de faire de Cinemania un festival comme le FNC, qui élabore une programmation très riche et poussée, avec des sections de programmation bien distinctes. Nous fonctionnons plus comme une petite mostra.

Cependant, nous cherchions des grands films d’auteurs, à l’image de Pater, Le Havre, Polisse, Les Neiges du Kilimandjaro ou encore Impardonnables d’André Téchiné. Nous avons commencé à travailler très tôt pour les avoir.

Le moment crucial pour nous a été le festival de Cannes où Maidy se rend chaque année, avec un emploi du temps bien préparé. Puis à son retour, nous avons continué à « chasser » les films.

Notre force est qu’on n’a pas l’intention de programmer plus de 30 ou 40 films dans notre dizaine de jours. Nous avons donc moins d’intervenants, et plus l’occasion d’approfondir nos relations avec les distributeurs et les exportateurs avec qui nous négocions les films, et construisons au fur et à mesure du temps une histoire, des échanges, des collaborations très positives.

À ce sujet, il faut d’ailleurs souligner le rôle important de Natalie Bélanger qui a apporté son immense expérience dans le secteur de la distribution à Montréal

Natalie a travaillé partout ! Principalement, au sein de nombreuses maisons de distribution à Montréal dont TVA Films, Les Films Séville et Alliance. Son expérience et sa haute connaissance du milieu ont été pour nous l’occasion de faire renaître de bonnes relations avec certains distributeurs. Inévitablement au Québec, en raison du faible nombre d’écrans de cinéma disponibles, certains “petits distributeurs” ont vraiment du mal à rejoindre les deux bouts, à trouver de la visibilité pour les titres de leur catalogue, et ne voient pas toujours l’intervention d’un Festival comme un apport positif dans leur stratégie de sortie en salles. C’est d’ailleurs pareil pour les grands joueurs. L’idée est donc de leur démontrer comment nous pouvons participer amplement au rayonnement du film, faire de Cinémania une belle rampe de lancement pour la sortie ensuite.

Nous sommes heureux d’avoir pu travailler cette année en étroite collaboration avec les petites compagnies telles que AZ FILMS, K-Films Amérique et AXIA Films. Natalie savait comment s’y prendre pour entamer des discussions, utiliser les bons contacts pour parvenir à obtenir les films que nous voulions. C’est dans ce contexte que nous avons pu développer une bonne relation avec AZ films, qui a fini par nous confier Ma part du gâteau. À partir de là, tout s’est enchaîné : de fil en aiguille, nous avons fait venir Monsieur Klapisch en personne à Montréal et avons sauté sur l’occasion pour monter une rétrospective inédite de quelques uns de ses films avec la Cinémathèque québécoise. C’est aussi cela un festival : beaucoup de recherches, de la patience et des incertitudes; quand d’un coup, tout se débloque et de nouvelles possibilités font leur apparition. C’est franchement excitant de gérer la part d’imprévisible, puis rester ouvert à toutes les alternatives. Surtout quand au final l’événement est une réussite.

Cinemania Guilhem Caillard